Wednesday 10 July 2013

L’instant où tout bascule.

Il y a une minute, une seconde, tout était comme d’habitude : simplement normal. Au point où l’on n’a plus conscience du moment. Les choses se vivent de manière automatique sans forcément nécessiter un processus délibéré.


Soudain tout bascule. Une information nouvelle vous parvient, qui bouleverse le monde tel que vous vous le figuriez jusque là. L’ordinarité absolue de l’instant précédent semble insensée, presque indécente. Comme pouviez-vous faire preuve de tant de légèreté, en vous préoccupant de banalités des plus quelconques alors que déjà un drame s’était déroulé.


Vos acquis se trouvent remis en perspective à l’aune de votre nouvel horizon. Les lignes de fuite sont retracées, les élévations recalculées. Certains aspects gagnent en importance, d’autre en perdent, voire la perdent tout à fait. La confrontation avec le moment précédent rend le choc d’autant plus violent, la déflagration d’autant plus puissante.


D’une seconde à la suivante, rien n’a concrètement changé sinon votre interprétation du monde. Seulement ce monde n’existe pour nous qu’à travers la lecture que l’on en a. Changer notre perception est en réalité changer notre monde. C’est ainsi que d’un instant à autre, on chavire. La terre s’affaisse et redevient plate.


Daniel Cordier, autrefois secrétaire de Jean Moulin, a décrit avec justesse son (ou peut-être l’un de ses) point de bascule, successivement subit puis observé.
À cette époque, il organisait ses rendez-vous dans le métro aux heures de grande circulation. Ceux-ci se déroulaient d’une station à l’autre et de demi heure en demi heure. Il attend son premier rendez-vous sur un banc de la station Châtelet. Plongé dans ses pensées, comme chacun sans doute dans ces moments d’attente passive, il prépare mentalement ses rendez-vous. Le métro à l’arrêt, son correspondant se précipite hors du wagon : le patron a été arrêté. Le choc est tel qu’il doit s’asseoir à nouveau. Ses jambes s’écroulent en même temps que son monde. Après un long moment, il prend lui aussi le métro pour rejoindre Saint Michel : cette fois-ci c’est lui qu’on attend à la station. Alors que le train ralenti, il dépasse l’escalier et à son pied les hommes à qui il devra à son tour annoncer la terrible nouvelle. L’un deux a prononcé un bon mot, raconté une anecdote ou une plaisanterie peut-être. Ils éclatent de rire à l’unisson. À cet instant, Daniel Cordier se sait l’annonciateur du drame et il sait aussi que d’ici quelques minutes, ils auront également basculé.

Qu’il s’agisse de la grande histoire, de celle que l’on consigne dans les livres, ou d’une histoire individuelle, passé cet instant plus rien ne sera jamais comme avant.

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