Saturday 16 February 2013

Le Petit Chaperon rouille.

Il était une fois une petite fille de village. Son père, ancien ferrailleur reconverti dans l'alcoolisme et la violence domestique, était mort depuis déjà bien longtemps. La jeune enfant n’avait que très peu de souvenirs de cet homme. Seules perduraient de vagues sensations : une ombre large et menaçante, les relents d’une haleine chargée et d’une hygiène négligée, ainsi que de récurrents cauchemars que jamais elle n’évoquait. Sa jeune enfance lui avait conféré une personnalité pour le moins singulière. Avant de mourir, l’homme avait dilapidé les maigres ressources du ménage si bien que chaque jour pour la mère comme pour l’enfant était une lutte contre l’adversité. Les manières de chacune avait été fortement infléchies par ces rudes années : la mère, douce de caractère, avait été réduite à néant. Elle était devenue faible et craintive, incertaine, souvent absente. Elle savait pourtant parfois se montrer aimante, comme par des réflexes d’une vie passée. La fillette au contraire, n’ayant toujours connu que la violence et le manque, avait développé un caractère inflexible et un sens pratique sans pareille. Elle n’avait nulle notion du bien ou du mal car pour elle seule importait la subsistance. Elle était imprévisible, sauvage et sournoise, ne montrant une compassion épisodique que pour sa mère à demi folle.


Leur maison, située à l'écart du village, se discernait depuis les villages voisins. Le terrain était encombré de pièces variées : tôles, herses, charrues, roues, têtes de pioche et rambardes qui  rouillaient aux quatre vents. Lorsque le soir tombait, le contre jour découpait à l’habitation une silhouette menaçante qui terrifiait les enfants du village. Et quand le ciel se faisait lourd et qu’un vent puissant s’engouffrait entre les pièces qui s’entrechoquaient, du monticule s’élevait une plainte hurlante. Tremblant et chargé de coups résonnants, il semblait prêt à s’ébranler. Nul ne s’en approchait, mis à part la fillette qui fouinait toujours dans ce dédale métallique quand elle ne braconnait ou ne chapardait. L‘enfant portait toujours le même vêtement: un chaperon qui avait sans doute appartenu à sa mère dans sa jeunesse. Au fil des heures passées au coeur de la ferraille, la poussière de rouille avait pénétré le tissu du chaperon dont on n’aurait pu déceler la couleur originelle. C’est ainsi que partout on l’appelait le Petit Chaperon rouille.


Un jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit : Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade. Porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. Surprise par cet accès de lucidité, le Petit Chaperon rouille parti aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois, elle rencontra compère le Loup. Ayant perçu l'arôme métallique de ses vêtements, il avait traversé le bois avec empressement, et se trouva fort déçu à la vue de cette fillette bien vivante. Rendu fou par ce parfum puissant que son instinct de bête lui faisait passer pour du sang, il aurait bien aimé la dévorer dans l’instant. Craignant cependant la présence des bûcherons que l’on entendait travailler non loin de là, il se contint et s’approcha simplement de l’enfant. Doucereusement, lui demanda où elle allait. Le Petit Chaperon rouille reconnu aussitôt le Loup mais n’en eut aucune crainte. Elle sentait bien son affolement ainsi que son anxiété causée par les bûcherons qui le rendaient vulnérable. Elle sut qu’elle aurait à profiter de la situation. Oh, bonjour gentil chaton. Ma foi jamais je n’ai croisé de si bel animal. Veux-tu m’accompagner ? lui demanda-t-elle. Je vais porter cette galette à ma mère-grand, qui habite au delà de ce bois. La pauvre vieille femme est seule et malade et habite en des lieux si désolés que personne à moins de deux lieues ne pourrait lui porter secours. Enchanté par la perspective d’un double repas, le loup accepta naïvement.


Le Petit Chaperon rouille connaissait le moindre recoin de ces bois où elle braconnait quotidiennement. Tout en prétendant bavarder innocemment pour maintenir le loup en confiance, l’esprit perfide de cet enfant échaudait des plans machiavéliques. Bien qu’un peu maigre, le loup leur procurerait de la viande pour deux bonnes semaines et ses os parfumeraient encore quelques bouillons. Elle salivait à cette idée. Dans sa peau râpée, elle voyait déjà une chaude couverture pour l’hiver, et ses yeux feraient de bons appâts. Elle le mena jusqu’à l’orée d’un passage étroit le long d’une cabane de chasseur abandonnée. Gentil chaton, s’exclama-t-elle, veux-tu bien me précéder ? J’ai si peur dans ce chemin sombre. Qui sait quelle vilaine bête pourrait m’attaquer ? Le loup y vit une certaine ironie, ainsi qu’une bonne aubaine : ils étaient enfin arrivés dans un coin reculé de la forêt. Passé le mur, il aurait juste le temps de se poster dans un recoin pour surprendre la fillette et enfin la dévorer. Un rictus se dessina sur sa face poilue alors qu’il dépassait le Petit Chaperon rouille. Il eut bien déchanté en la voyant se munir d’une barre de fer qu’elle avait sorti de derrière un buisson. En se glissant dans le chemin étroit, le loup bouscula un branchage dans lequel était coincé un arbrisseau vigoureux qui se détendit brusquement. En deux pas, le loup fut pris dans un collet de barbelé épais. Le Petit Chaperon rouille le contempla quelques instants d’un regard froid, tandis qu’il luttait et s’en étranglait de plus belle, pour enfin l’assommer définitivement d’un grand coup de barre de fer sur le museau. Détachant délicatement le collet afin de le remettre en place par la suite, elle libéra le loup et le traîna dans la cabane. Elle fouilla dans son panier, sorti de dessous le tissu un petit poignard et égorga le loup derechef au dessus d’un baquet. Sang de loup ne saurait être gâché.


Plus tard, le Petit Chaperon rouille se rendit enfin chez sa mère-grand pour lui porter une galette, un petit pot de beurre, et un cuissot de loup qui ravirent la bonne femme.

2 comments:

  1. Oui je sais, on n'est pas mercredi. Je ferai mieux la prochaine fois !

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  2. Un peu sordide le début de l'histoire ! Mais j'aime bien la chute... ^^

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