Il
était une fois une petite fille de village. Son père, ancien
ferrailleur reconverti dans l'alcoolisme et la violence domestique,
était mort depuis déjà bien longtemps. La jeune enfant n’avait que très
peu de souvenirs de cet homme. Seules perduraient de vagues sensations :
une ombre large et menaçante, les relents d’une haleine chargée et
d’une hygiène négligée, ainsi que de récurrents cauchemars que jamais
elle n’évoquait. Sa jeune enfance lui avait conféré une
personnalité pour le moins singulière. Avant de mourir, l’homme avait
dilapidé les maigres ressources du ménage si bien que chaque jour pour
la mère comme pour l’enfant était une lutte contre l’adversité. Les
manières de chacune avait été fortement infléchies par ces rudes années :
la mère, douce de caractère, avait été réduite à néant. Elle était
devenue faible et craintive, incertaine, souvent absente. Elle savait
pourtant parfois se montrer aimante, comme par des réflexes d’une vie
passée. La fillette au contraire, n’ayant toujours connu que la violence
et le manque, avait développé un caractère inflexible et un sens
pratique sans pareille. Elle
n’avait nulle notion du bien ou du mal car pour elle seule importait la
subsistance. Elle était imprévisible, sauvage et sournoise, ne montrant
une compassion épisodique que pour sa mère à demi folle.
Leur
maison, située à l'écart du village, se discernait depuis les villages
voisins. Le terrain était encombré de pièces variées : tôles, herses,
charrues, roues, têtes de pioche et rambardes qui rouillaient aux
quatre vents. Lorsque le soir tombait, le contre jour découpait à
l’habitation une silhouette menaçante qui terrifiait les enfants du
village. Et quand le ciel se faisait lourd et qu’un vent puissant
s’engouffrait entre les pièces qui s’entrechoquaient, du monticule
s’élevait une plainte hurlante. Tremblant et chargé de coups résonnants,
il semblait prêt à s’ébranler. Nul ne s’en approchait, mis à part la
fillette qui fouinait toujours dans ce dédale métallique quand elle ne
braconnait ou ne chapardait. L‘enfant portait toujours le même vêtement:
un chaperon qui avait sans doute appartenu à sa mère dans sa jeunesse.
Au fil des heures passées au coeur de la ferraille, la poussière de
rouille avait pénétré le tissu du chaperon dont on n’aurait pu déceler
la couleur originelle. C’est ainsi que partout on l’appelait le Petit
Chaperon rouille.
Un
jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit : Va voir comme
se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade. Porte-lui
une galette et ce petit pot de beurre. Surprise par cet accès de
lucidité, le Petit Chaperon rouille parti aussitôt pour aller chez sa
mère-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un
bois, elle rencontra compère le Loup. Ayant perçu l'arôme métallique de
ses vêtements, il avait traversé le bois avec empressement, et se trouva
fort déçu à la vue de cette fillette bien vivante. Rendu fou par ce
parfum puissant que son instinct de bête lui faisait passer pour du
sang, il aurait bien aimé la dévorer dans l’instant. Craignant cependant
la présence des bûcherons que l’on entendait travailler non loin de là,
il se contint et s’approcha simplement de l’enfant. Doucereusement, lui
demanda où elle allait. Le Petit Chaperon rouille reconnu aussitôt le
Loup mais n’en eut aucune crainte. Elle sentait bien son affolement
ainsi que son anxiété causée par les bûcherons qui le rendaient
vulnérable. Elle sut qu’elle aurait à profiter de la situation. Oh,
bonjour gentil chaton. Ma foi jamais je n’ai croisé de si bel animal.
Veux-tu m’accompagner ? lui demanda-t-elle. Je vais porter cette galette
à ma mère-grand, qui habite au delà de ce bois. La pauvre vieille femme
est seule et malade et habite en des lieux si désolés que personne à
moins de deux lieues ne pourrait lui porter secours. Enchanté par la
perspective d’un double repas, le loup accepta naïvement.
Le
Petit Chaperon rouille connaissait le moindre recoin de ces bois où
elle braconnait quotidiennement. Tout en prétendant bavarder
innocemment pour maintenir le loup en confiance, l’esprit perfide de cet
enfant échaudait des plans machiavéliques. Bien qu’un peu maigre, le
loup leur procurerait de la viande pour deux bonnes semaines et ses os
parfumeraient encore quelques bouillons. Elle salivait à cette idée.
Dans sa peau râpée, elle voyait déjà une chaude couverture pour l’hiver,
et ses yeux feraient de bons appâts. Elle le mena jusqu’à l’orée d’un
passage étroit le long d’une cabane de chasseur abandonnée. Gentil
chaton, s’exclama-t-elle, veux-tu bien me précéder ? J’ai si peur dans
ce chemin sombre. Qui sait quelle vilaine bête pourrait m’attaquer ? Le
loup y vit une certaine ironie, ainsi qu’une bonne aubaine : ils étaient
enfin arrivés dans un coin reculé de la forêt. Passé le mur, il aurait
juste le temps de se poster dans un recoin pour surprendre la fillette
et enfin la dévorer. Un rictus se dessina sur sa face poilue alors qu’il
dépassait le Petit Chaperon rouille. Il eut bien déchanté en la voyant
se munir d’une barre de fer qu’elle avait sorti de derrière un buisson.
En se glissant dans le chemin étroit, le loup bouscula un branchage dans
lequel était coincé un arbrisseau vigoureux qui se détendit
brusquement. En deux pas, le loup fut pris dans un collet de barbelé
épais. Le Petit Chaperon rouille le contempla quelques instants d’un
regard froid, tandis qu’il luttait et s’en étranglait de plus belle,
pour enfin l’assommer définitivement d’un grand coup de barre de fer sur
le museau. Détachant délicatement le collet afin de le remettre en
place par la suite, elle libéra le loup et le traîna dans la cabane.
Elle fouilla dans son panier, sorti de dessous le tissu un petit
poignard et égorga le loup derechef au dessus d’un baquet. Sang de loup
ne saurait être gâché.
Plus
tard, le Petit Chaperon rouille se rendit enfin chez sa mère-grand pour
lui porter une galette, un petit pot de beurre, et un cuissot de loup
qui ravirent la bonne femme.
Oui je sais, on n'est pas mercredi. Je ferai mieux la prochaine fois !
ReplyDeleteUn peu sordide le début de l'histoire ! Mais j'aime bien la chute... ^^
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