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Thursday, 12 September 2013

Jumeau du ciel.

Partout l’infini, l’éternel infini. Rien qui n’entrave ou n’empêche la fuite. À tout instant se plonger dans le bleu et s’y perdre. Pas de poids, d’habitude, ni de limite. Le soleil en vis-à-vis est implacable, et dévore les pensées. Rien ne saurait ralentir sa course destructrice. Flotter. Se confondre dans l’espace et se laisser gagner par son indifférence.

Ni haine ni amour, ni rancœur ni rancune, laisser ses sentiments à l’abandon. Se purger de toute émotion.

Wednesday, 21 August 2013

Pour mieux s'y reconnaître avec les ismes.

Le calvinisme, c’est quand on perd ses cheveux.
L’acméisme, c’est quand on a des boutons.
Le bilinguisme, c’est quand on a des problèmes d’estomac.
L’unilinguisme, c’est une pratique sexuelle.
Le plurilinguisme, c’est pour les émotifs.
Le congruisme, c’est quand on est souvent en déplacement.
Le théisme, c’est pour les oreillers.
L’érotisme, c’est pour les poulets.
L’élitisme, c’est pour les hannetons.
Le déisme, c’est quand on aime les jeux de rôle.
L’antillanisme, c’est pour ceux qui n’aiment pas le Ricard.
Le tripartisme, c’est un courant de la cuisine traditionnelle lyonnaise.
Le bouddhisme, c’est pour les râleurs.
Le bonapartisme, c’est pour ceux qui apprécient les bons repas.
L’embolisme, c’est pour les aviateur espagnols.
Le manichéisme c’est pour ne pas se brûler les doigts.
Le maoïsme, c’est quand on est accro aux lolcats. 
Le charisme, c’est pour ceux qui trouvent toujours une explication.

Wednesday, 7 August 2013

Gaétan le renard.

Gaétan est un petit renard aux yeux verts.

Quand le soleil brille fort en été, son œil gauche devient tout bleu.

Gaétan aime bien le soleil, mais comme certains renards, ce qu’il préfère c’est vivre la nuit.

Gaétan adore les énigmes. Au moment où tout le monde va se coucher, il se met au travail et résout des problèmes jusqu’au lever du soleil.

La voisine de Gaétan s’appelle Claire. Elle fabrique des accessoires et tous les animaux de la forêt viennent lui en acheter.

Pour impressionner sa voisine, Gaétan veut devenir le plus fort des renards. Tous les jours, il s’entraîne avec son copain Daniel le blaireau. 

Quand il sera grand, Daniel sera le plus fort des blaireaux. Avec Gaétan, ils seront des super héros, et tout le monde les admirera.

Wednesday, 10 July 2013

L’instant où tout bascule.

Il y a une minute, une seconde, tout était comme d’habitude : simplement normal. Au point où l’on n’a plus conscience du moment. Les choses se vivent de manière automatique sans forcément nécessiter un processus délibéré.


Soudain tout bascule. Une information nouvelle vous parvient, qui bouleverse le monde tel que vous vous le figuriez jusque là. L’ordinarité absolue de l’instant précédent semble insensée, presque indécente. Comme pouviez-vous faire preuve de tant de légèreté, en vous préoccupant de banalités des plus quelconques alors que déjà un drame s’était déroulé.


Vos acquis se trouvent remis en perspective à l’aune de votre nouvel horizon. Les lignes de fuite sont retracées, les élévations recalculées. Certains aspects gagnent en importance, d’autre en perdent, voire la perdent tout à fait. La confrontation avec le moment précédent rend le choc d’autant plus violent, la déflagration d’autant plus puissante.


D’une seconde à la suivante, rien n’a concrètement changé sinon votre interprétation du monde. Seulement ce monde n’existe pour nous qu’à travers la lecture que l’on en a. Changer notre perception est en réalité changer notre monde. C’est ainsi que d’un instant à autre, on chavire. La terre s’affaisse et redevient plate.


Daniel Cordier, autrefois secrétaire de Jean Moulin, a décrit avec justesse son (ou peut-être l’un de ses) point de bascule, successivement subit puis observé.
À cette époque, il organisait ses rendez-vous dans le métro aux heures de grande circulation. Ceux-ci se déroulaient d’une station à l’autre et de demi heure en demi heure. Il attend son premier rendez-vous sur un banc de la station Châtelet. Plongé dans ses pensées, comme chacun sans doute dans ces moments d’attente passive, il prépare mentalement ses rendez-vous. Le métro à l’arrêt, son correspondant se précipite hors du wagon : le patron a été arrêté. Le choc est tel qu’il doit s’asseoir à nouveau. Ses jambes s’écroulent en même temps que son monde. Après un long moment, il prend lui aussi le métro pour rejoindre Saint Michel : cette fois-ci c’est lui qu’on attend à la station. Alors que le train ralenti, il dépasse l’escalier et à son pied les hommes à qui il devra à son tour annoncer la terrible nouvelle. L’un deux a prononcé un bon mot, raconté une anecdote ou une plaisanterie peut-être. Ils éclatent de rire à l’unisson. À cet instant, Daniel Cordier se sait l’annonciateur du drame et il sait aussi que d’ici quelques minutes, ils auront également basculé.

Qu’il s’agisse de la grande histoire, de celle que l’on consigne dans les livres, ou d’une histoire individuelle, passé cet instant plus rien ne sera jamais comme avant.

Thursday, 20 June 2013

Pâtissière,

Bientôt elle sera pâtissière.


Ses unités de mesure seront le degré, le millimètre et la seconde. La précision deviendra le maître mot de chacun de ses gestes, que quelques outils viendront prolonger. Spatules, pinceaux, fouets et autres emporte-pièces bâtiront des armées de langues de chats, de tuiles aux amandes ou de macarons. Avec dextérité et une poche à douille, elle alignera des mètres de choux ou d’éclairs dans une parfaite régularité. Ses décorations en caramel défieront la gravité, tandis que le chocolat brillant et impeccable se déclinera en feuilles, en pétales ou en fins bâtonnets.


Elle enrobera, saupoudrera, infusera, glacera, ou dorera. Elle fera naître du crémeux, du croustillant, du soyeux, du fondant, du mousseux, du voluptueux. Ses parfums seront intenses, acidulés, fruités, alcoolisés. Les mots seuls éveillent déjà les sens.


Elle parlera une langue d’odeurs, de couleurs et de textures. Celle que peu maîtrisent mais dont chacun sait apprécier le chant sublime. Qui peut résister au parfum d’un croissant frais, à la promesse tentatrice d’un fondant au chocolat ?
Une fois quittées la cuisine ou la boutique, ses créations gagneront du sens, une histoire. Les viennoiseries accompagneront une journée commencée au pas de courses ou une réunion décisive. Les desserts élaborés viendront clore un dîner intime ou un mariage en grande pompe. Les chocolats célébreront les anniversaires ou s’efforceront d’apaiser les chagrins d’amour.

Chaque jour, ses mains agiles façonneront l’élégance et le plaisir. Absorbée par la tâche, elle se concentrera sur la perfection du produit fini sans forcément prendre conscience des émotions qu’elle provoquera, jour après jour. Alors juste un rappel, chère pâtissière : ce que tu crées, peut-être sans parfois trop y penser, c’est pour nous autres gourmands un instant de joie, de beauté pure.

Merci.

Wednesday, 12 June 2013

Le tube du printemps.

Il fait froid dans mon appart
Il est mal isolé

Il fait froid dans mon appart
Quinze degré sept, c’est pas assez

Il fait froid dans mon appart,
faut dire aussi, j’veux pas chauffer
c’est par principe pour pas gâcher
fin printemps, faut pas déconner.


On m’avait dit:
«en mai fait ce qu’il te plaît»
C’est juin, je tourne au lady grey
pour ne pas être frigorifiée.



Il fait froid dans mon appart
Je vais refaire un thé

Il fait froid dans mon appart
Vingt pompes, mon sang va circuler

Il fait froid dans mon appart
Sauf sous la couette du canapé
et même quand vient l’heure de manger
je n’arrive plus à la quitter
La BBC,
Vient juste de l’annoncer:
demain ils prévoient vent glacé
et heavy rain toute la journée



Il fait froid dans mon appart
merci l’humidité

Il fait froid dans mon appart
mes bouquins sont tous gondolés

Il fait froid dans mon appart
Mais tout ça c’est presque oublié
Adieu cloportes et araignées
On va bientôt déménager !

Wednesday, 3 April 2013

Le serment d’hypocrite.


Au moment d’être admis(e) à exercer les travaux de réparation, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de la supercherie et de l’improbité.

Mon premier souci sera d’établir, de préserver ou de promouvoir les menus dysfonctionnements dans tous leurs éléments, plastiques et métaux, indésirables et incommodants.

J’accablerai toutes les personnes, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour endommager leurs installations si celles-ci ne sont suffisamment affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité.

Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances dans le cadre des lois du service rendu.

Je n’informerai pas les clients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences.

Je jouerai de leur confiance et exploiterai le pouvoir hérité des circonstances pour altérer leur clairvoyance.

Je n’offrirai pas mes services à quiconque me les demandera sans signature d’un contrat.

Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire obtenue par un travail méticuleux.

Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira qu’à corrompre les murs.

Je ferai tout pour dépasser les assurances. Je reporterai méthodiquement les échéances. Je ne’apporterai jamais le confort délibérément.

Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission.

Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. J’entretiendrai mes lacunes ou les feindrai pour assurer au minimum les services qui me seront demandés.

J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité.

Que mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque.



Ceci explique cela.

C’est pour ça que les vis du porte serviette sont bien trop courtes, et que certaines  sont même trop larges si bien qu’elles buttent contre le bord perpendiculaire et sont vissées de travers. (Un vrai travail d’artiste, on se demande comment ça a bien pu tenir à la base.)

C’est pour ça que lorsqu’une inspection ou réparation est faite au cumulus le frigo se trouve à chaque fois un peu plus égratigné et/ou cabossé.

C’est pour ça que lorsque l’interrupteur de la prise électrique du radiateur a été changé la boîte de son minuteur a été fendue.

C’est pour ça qu’on a emménagé dans un appartement dont le frigo de la cuisine intégrée n’était pas branché.

C’est pour ça que la poubelle en métal de la cuisine se fait défoncer à chaque visite au point où elle ne s’ouvre plus à la première utilisation.

C’est pour ça qu’à chaque visite on peut jouer les enquêteurs et retracer une après-midi de réparation au fil des taches et traces de pas.

C’est pour ça qu’on a eu droit à des non réparations à diverses reprises, telles que la chasse d’eau qui met cinq minutes au lieu de sept à se remplir, le cumulus qui se fait isoler avec un bout de plastique et une ville corde sale vaguement nouée, et que le fonctionnement du chauffe eau n’a jamais évolué.

Wednesday, 13 March 2013

Ces mots qui me sont si spéciaux.


En anglais, j’ai déjà décrit quelques mots qui ont pour moi un sens particulier, en général en raison du contexte dans lequel je les ai découvert et parfois compris de travers. J’aurais aimé faire la même chose en français mais force est de constater que c’est plus délicat. L’apprentissage de la langue maternelle se fait trop tôt, de manière plus naturelle, et les mots en français ont souvent pour moi simplement la signification que leur donne le dictionnaire. Il y a malgré tout quelques exceptions.

Pour le coup je vais tricher un peu. Plus qu’un mot il s’agit surtout une image. Celle du paquet de mi-cho-ko au lait. Peut-être parce qu’ils faisaient partie d’un rituel, de gestes, mais pas de conversations. Il s’agit en réalité de l’objet, pas du mot. Je crois qu’ils ne se font plus comme dans mes souvenirs, ma version c’est celle avec le chocolat au lait à l’intérieur. On le laissait fondre en bouche, la couche de caramel s’amenuisait progressivement jusqu’à laisser le chocolat, chaud et fondant, s’échapper enfin. C’était comme une vague bretonne, de celles qui se jettent bien fort contre les rochers pour voler en écume. Chaque bonbon était aussi jouissif que le précédent, je ne m’en serais jamais lassée, j’adorais ça. On n’en avait jamais à la maison; les mi-cho-co, c’était chez les grands parents.

Je les revois. Ils étaient toujours rangés en bas tout à gauche du meuble en formica du salon. (Les mi-cho-co, hein !) Au milieu du salon, il y avait la super table, en formica elle aussi, avec une bordure dorée quelque part. Autour des pattes ou du plateau, sans doute des deux pour bien faire. Mais surtout, elle avait un plateau transparent qui laissait voir à l’intérieur de petits oiseaux artificiels. Des fleurs aussi je crois. Cette table était encore plus classe que des mi-cho-co, le top du mobilier. On a un sacré sens de l’esthétique quand on est enfant.

On sortait les cartes et le tapis vert, pour en fonction des époques passer l’après midi à jouer d’abord au nain jaune, puis plus tard au rami. Quand on était grandes. La première fois que j’ai joué au nain jaune j’ai eu dans les mains un grand opéra seulement je ne savais pas encore qu’on pouvait commencer au milieu puis faire le tour. C’est la seule occasion que j’ai jamais eue.
Quoi qu’il en soit, opéra ou non, deux-qui-prend-sans-trois ou
tierce franche, on n’a jamais manqué de mi-cho-co, toujours posés au coin de la table.

Le soir, après un hachis parmentier ou des croissants ou jambon, on dépliait le clic-clac violet de la chambre du fond pour aller au lit. On faisait de la plongée sous lit-line pour aller chercher nos nounours dans les profondeurs des draps et on se battait quand l’une ou l’autre dépassait sa moitié du lit. Au milieu de la nuit, un lion terrifiant rugissait parfois. Il paraît que c’était juste mon grand-père qui ronflait mais je refuse toujours d’y croire.

... 
Je mangerais bien un mi-cho-co.



Friday, 8 March 2013

Chers voisins.



Que vos chaussures se mettent à prendre l’eau par un jour de pluie torrentielle.

Qu’une invasion d’insectes s’établisse dans votre pot de sucre.

Que votre dos se couvre de poils sombres.


Que vos pizzas à emporter vous arrivent toujours froides. 

Que vos clefs tombent dans du goudron frais au passage du rouleau compresseur.

Que chaque gorgée de thé vous brûle la langue, un peu.

Que le dentiste se trompe de gencive lors de la piqûre d’anesthésiant.

Que vous consommiez des pignons de pin rances et enduriez un goût amer persistant.

Que vos rires vous provoquent une toux déchirante.

Qu’une migration de limaces colonise votre escalier.

Que dans chaque bar, chaque pub, chaque restaurant, vous tombiez sur des tables bancales.

Que chacune de vos cigarettes se changent en menthol.

Qu’un cactus aux épines très fines vous tombe dans les mains.

Que chaque taxi vous éclabousse des pieds à la tête en vous dépassant.

Que votre chat dépose précieusement une crotte sur le pavé tactile de votre portable lorsque que vous rentrez tapageusement à trois heures du matin.



Saturday, 16 February 2013

Le Petit Chaperon rouille.

Il était une fois une petite fille de village. Son père, ancien ferrailleur reconverti dans l'alcoolisme et la violence domestique, était mort depuis déjà bien longtemps. La jeune enfant n’avait que très peu de souvenirs de cet homme. Seules perduraient de vagues sensations : une ombre large et menaçante, les relents d’une haleine chargée et d’une hygiène négligée, ainsi que de récurrents cauchemars que jamais elle n’évoquait. Sa jeune enfance lui avait conféré une personnalité pour le moins singulière. Avant de mourir, l’homme avait dilapidé les maigres ressources du ménage si bien que chaque jour pour la mère comme pour l’enfant était une lutte contre l’adversité. Les manières de chacune avait été fortement infléchies par ces rudes années : la mère, douce de caractère, avait été réduite à néant. Elle était devenue faible et craintive, incertaine, souvent absente. Elle savait pourtant parfois se montrer aimante, comme par des réflexes d’une vie passée. La fillette au contraire, n’ayant toujours connu que la violence et le manque, avait développé un caractère inflexible et un sens pratique sans pareille. Elle n’avait nulle notion du bien ou du mal car pour elle seule importait la subsistance. Elle était imprévisible, sauvage et sournoise, ne montrant une compassion épisodique que pour sa mère à demi folle.


Leur maison, située à l'écart du village, se discernait depuis les villages voisins. Le terrain était encombré de pièces variées : tôles, herses, charrues, roues, têtes de pioche et rambardes qui  rouillaient aux quatre vents. Lorsque le soir tombait, le contre jour découpait à l’habitation une silhouette menaçante qui terrifiait les enfants du village. Et quand le ciel se faisait lourd et qu’un vent puissant s’engouffrait entre les pièces qui s’entrechoquaient, du monticule s’élevait une plainte hurlante. Tremblant et chargé de coups résonnants, il semblait prêt à s’ébranler. Nul ne s’en approchait, mis à part la fillette qui fouinait toujours dans ce dédale métallique quand elle ne braconnait ou ne chapardait. L‘enfant portait toujours le même vêtement: un chaperon qui avait sans doute appartenu à sa mère dans sa jeunesse. Au fil des heures passées au coeur de la ferraille, la poussière de rouille avait pénétré le tissu du chaperon dont on n’aurait pu déceler la couleur originelle. C’est ainsi que partout on l’appelait le Petit Chaperon rouille.


Un jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit : Va voir comme se porte ta mère-grand, car on m’a dit qu’elle était malade. Porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. Surprise par cet accès de lucidité, le Petit Chaperon rouille parti aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre village. En passant dans un bois, elle rencontra compère le Loup. Ayant perçu l'arôme métallique de ses vêtements, il avait traversé le bois avec empressement, et se trouva fort déçu à la vue de cette fillette bien vivante. Rendu fou par ce parfum puissant que son instinct de bête lui faisait passer pour du sang, il aurait bien aimé la dévorer dans l’instant. Craignant cependant la présence des bûcherons que l’on entendait travailler non loin de là, il se contint et s’approcha simplement de l’enfant. Doucereusement, lui demanda où elle allait. Le Petit Chaperon rouille reconnu aussitôt le Loup mais n’en eut aucune crainte. Elle sentait bien son affolement ainsi que son anxiété causée par les bûcherons qui le rendaient vulnérable. Elle sut qu’elle aurait à profiter de la situation. Oh, bonjour gentil chaton. Ma foi jamais je n’ai croisé de si bel animal. Veux-tu m’accompagner ? lui demanda-t-elle. Je vais porter cette galette à ma mère-grand, qui habite au delà de ce bois. La pauvre vieille femme est seule et malade et habite en des lieux si désolés que personne à moins de deux lieues ne pourrait lui porter secours. Enchanté par la perspective d’un double repas, le loup accepta naïvement.


Le Petit Chaperon rouille connaissait le moindre recoin de ces bois où elle braconnait quotidiennement. Tout en prétendant bavarder innocemment pour maintenir le loup en confiance, l’esprit perfide de cet enfant échaudait des plans machiavéliques. Bien qu’un peu maigre, le loup leur procurerait de la viande pour deux bonnes semaines et ses os parfumeraient encore quelques bouillons. Elle salivait à cette idée. Dans sa peau râpée, elle voyait déjà une chaude couverture pour l’hiver, et ses yeux feraient de bons appâts. Elle le mena jusqu’à l’orée d’un passage étroit le long d’une cabane de chasseur abandonnée. Gentil chaton, s’exclama-t-elle, veux-tu bien me précéder ? J’ai si peur dans ce chemin sombre. Qui sait quelle vilaine bête pourrait m’attaquer ? Le loup y vit une certaine ironie, ainsi qu’une bonne aubaine : ils étaient enfin arrivés dans un coin reculé de la forêt. Passé le mur, il aurait juste le temps de se poster dans un recoin pour surprendre la fillette et enfin la dévorer. Un rictus se dessina sur sa face poilue alors qu’il dépassait le Petit Chaperon rouille. Il eut bien déchanté en la voyant se munir d’une barre de fer qu’elle avait sorti de derrière un buisson. En se glissant dans le chemin étroit, le loup bouscula un branchage dans lequel était coincé un arbrisseau vigoureux qui se détendit brusquement. En deux pas, le loup fut pris dans un collet de barbelé épais. Le Petit Chaperon rouille le contempla quelques instants d’un regard froid, tandis qu’il luttait et s’en étranglait de plus belle, pour enfin l’assommer définitivement d’un grand coup de barre de fer sur le museau. Détachant délicatement le collet afin de le remettre en place par la suite, elle libéra le loup et le traîna dans la cabane. Elle fouilla dans son panier, sorti de dessous le tissu un petit poignard et égorga le loup derechef au dessus d’un baquet. Sang de loup ne saurait être gâché.


Plus tard, le Petit Chaperon rouille se rendit enfin chez sa mère-grand pour lui porter une galette, un petit pot de beurre, et un cuissot de loup qui ravirent la bonne femme.

Wednesday, 30 January 2013

Boucher.


Il était boucher. Sa journée commençait toujours la veille au soir, par le passage obligé sur la meule. Usé par une dure journée de labeur, le fil se devait d’être quotidiennement rafraîchit. Ronronnant gravement, le disque de pierre tournait, prêt à recevoir le tranchant ébréché. Brisant soudain la rumeur régulière, un cri aigu retentissait : l’un après l’autre, la meule chantait chacun de ses couteaux. La hauteur et la durée du son décrivait la courbe et la longueur de chaque lame. C’était toujours un son égal pour commencer, puis une accélération dans les aigus, comme une virgule auditive qui soulignait la courbe de la pointe. Parfois une pluie d’étincelles jaillissait. Continuellement répété depuis plus de trente ans, le geste était précis et maîtrisé. Sûrement, ses doigts guidaient la lame, lui exposant l’angle parfait, ajoutant juste ce qu’elle demandait de pression. En fins copeaux de métal, le fil de la journée était effacé. Comme autant d’éphémérides, chaque couteau un à un faisait peau neuve. Huit heures et quelques lames étaient repassées. Une fois qu’il en avait fini, la lumière courrait sur le fil sans trouver une accroche où s’attarder. Certaines lames, bien veilles, avait rétrécies au point de ne plus pouvoir être utilisées ailleurs que dans le jardin. Lui toujours tenait la distance.
Il pouvait lire dans chaque pièce de viande; connaissant précisément l’agencement de chaque muscle, il les séparait avec agilité, tandis que le couteau finement aiguisé se glissait entre les chairs sans les blesser. La surface de chaque pièce qu’il travaillait était lisse et homogène, et lorsqu’il la détaillait en steaks, il eût semblé que les fibres avaient été conçues pour finir en ces tranches régulières. On a tendance à décrire comme un «véritable boucher» l’être violent ou cruel, certainement chaotique, quand le boucher de métier —véritable celui-là— n’est que savoir faire, précision et révérence. Pour la bête, le métier et la viande. Il aime et respecte l’animal et le traite avec le soin qui lui est dû.
Ayant choisi la viande la plus belle, la plus rouge et intense, le boucher se fait enfin cuisinier. Liant la hampe ou la bavette aux échalotes fondantes, drapant le filet de pâte feuilletée, marinant la glorieuse côte de bœuf, par la suite majestueusement rôtie au barbecue. C’est ainsi que le boucher partage l’amour de son métier, mais toujours bien saignant.

Thursday, 17 January 2013

Tailleur


Il était tailleur. Là-bas, dans son atelier, le fracas du monde ne pouvait l’atteindre. Les vagues des tissus enveloppaient les murs d’élégance, étouffaient les sons et l’on y entrait comme dans un sanctuaire. Dans la boutique on parlait, commentait, s'extasiait mais au premier pas dans l’atelier on baissait instinctivement la voix. Le lieu était empreint des heures de travail, d’attention, une infinie précision y était suspendue.

Dans leur parfaite maîtrise du geste, ses doigts drapaient d’humilité l’homme puissant, tandis que l’homme humble se sentait devenir roi sous la coupe glorieuse du tissu. Dans la paix solitaire de son atelier il caressait longuement le textile avant de se mettre à l’ouvrage. Il en lisait le pli, la résistance, en scrutait le tomber. Il écoutait le chuchotement de la trame, en devinait les aspirations. Jamais il n’usait d’un tissu ou allait à l’encontre de ses désirs; le vêtement devait être un discours entre l’homme et la fibre, le résultat d’une osmose parfaite où transparaissait le choix réfléchi de l’aiguille, du fil adéquat, le tracé préliminaire précis et avisé. Le ciseau même, entretenu avec révérence, n’entravait pas l’étoffe mais la révélait. La matière lui parlait de rigueur ou de caresse, de pinces impeccablement ajustées, d’ourlets élaborés, lui réclamait biais élégants, points anglais ou rabattus.

Progressivement, l’échange intime du savoir faire et du matériau changeait le tissu fluide en un vêtement au caractère affirmé, prêt à passer le seuil de l’atelier pour faire son entrée dans la boutique. C’est là que, finalement revêtu, il prenait vie : la coupe de l’habit exprimait tout autant que les gestes de celle ou celui qui l’animaient. C’est la destinée du tailleur que de voir son labeur devoir le quitter pour s’accomplir.

Thursday, 3 January 2013

Ma meuf est mon chien.



On dit souvent que les hommes recherchent une mère, voire leur mère dans leur partenaire. Une de ces fameuses pensées clairvoyantes de la sagesse populaire. Je ne sais ce que Freud en aurait déduit, mais chaque jour qui passe, je réalise avec appréhension qu’en la compagne que j’ai courtisée je découvre un peu plus de mon labrador.

La première fois, elle me fit sourire entre tendresse et amusement. Elle s’endort toujours très vite, presque instantanément et donc généralement avant moi. Ce soir là, ses membres se contractaient spasmodiquement comme cela arrive à tant de nous dans les premières minutes de sommeil. Seulement, elle en montrait une version toute personnelle : une fois les bras, une fois les jambes. Le tout en rythme et en boucle. Quelques heures plus tôt, elle s’était fait une heure de brasse à la piscine en sortant du travail. L’anecdote me fit sourire, puis dans un deuxième effet kiss cool, je réalisai que ces gestes me rappelaient les tremblements endormis de mon labrador dans ses après midi de chasse au chat onirique. Je lui caressai tendrement les cheveux, abrégeant involontairement sa séance de natation nocturne. Elle se retourna et se rendormi paisiblement.


L’épisode me sorti de l’esprit jusqu’au jour où je réalisai son obsession pour la nourriture. Je ne pense pas que son comportement ait évolué à cet égard depuis les débuts de notre vie commune. Peut-être s’est elle sentie progressivement plus à l’aise et l’excès de réserve a-t-il fait place à plus de naturel mais il ne me semble pas que quoi que ce soit ait réellement changé. Ce sont mon regard, ma compréhension qui se sont altérés. Du moment où la lumière se fit, des souvenirs brumeux de moments anodins me revinrent et se combinèrent pour se révéler à moi. Comme mon labrador qui un jour s’était rendu malade en engloutissant un pain de saindoux abandonné sur un tas de fumier, ou un autre avait éventré mon sac poubelle pour dévorer des coquilles de moules, ma copine ne sait s’arrêter face à la nourriture.

Suite à cette révélation, je décidai de mener quelques tests afin de confirmer mes théories. Je remettais en cause mes propres impressions et au fond, je pense que j’espérais pouvoir me démontrer que ces idées n’étaient que balivernes. Je laissai donc négligemment de la nourriture sur le plan de travail ou sur la table du salon. Carré de chocolat, morceau de comté ou restes de spaghettis bolognaise invariablement disparurent. Je l’observai lors de picnics ou de petits déjeuner copieux; tant que je mangeais, elle en faisait de même. Je picorais une dernière tartine, elle aussi. Je me resservais en salade de pommes de terre, elle me tendait son assiette. Enfin, chaque fois qu’il me prenait de grignoter entre ou avant les repas, elle accourrait pour se poster près de moi, sans un mot mais d’un air implorant.

Elle semble également terriblement angoissée par le risque potentiel de manque de nourriture. Il lui faut toujours savoir bien à l’avance de quoi sera fait le prochain repas et les discussions autour des tartines matinales tournent régulièrement en ratatouille ou en brandade de morue. Si par malheur une balade risque de se prolonger autour de l’heure du repas c’est la panique ! Sera-t-on de retour dans les temps ? La journée doit-elle être réorganisée ou un encas prévu ?  L’avantage, c’est que je n’ai généralement pas à me soucier des courses : elle passe la moitié de sa vie au supermarché pour remplir frénétiquement les placards. Mon labrador dans tout ça ? Même tracas. Ne pouvant faire les courses, il garde toujours une pomme à proximité, au cas où. Mûres ou non, il va les ramasser au fond du jardin et les pose près de sa truffe, juste à portée de langue. Parfois il lui en donne un coup, parfois il la grignote mais je suis convaincu que par dessus tout, cette pomme le rassure.

Ma compagne a de long cheveux clairs, très raides, mon labrador le poil court et noir et tous deux les perdent tout autant. Je retrouve des boulettes de cheveux dans mes chaussettes au sortir des lessives et le long du couloir, le blond et le noir s'entremêlent et s’élèvent gracieusement au gré des courants d’air. Ma mère désespère après chacune de nos visites prolongées chez elle et retrouve des mois durant les traces de notre passage.

Sinon, je dois promener mon chien quotidiennement; ça c'est normal et je m'y attendais. Par contre j'ai été plutôt surpris en réalisant que je devais aussi sortir ma copine. Elle ne fait pas ses besoins dans la maison si elle passe la journée à l'intérieur – enfin si, mais comme tout être humain –. Là n'est pas le problème. Elle devient simplement fatigante, nerveuse, elle saute sur place, elle tourne en rond sans savoir ce qui lui manque. Avec le temps j'ai fini par comprendre ce qui lui échappe encore à ce jour, et lui propose toujours d'aller faire un tour histoire de prendre l'air si rien ne nous a poussé ce jour là à quitter nos quatre murs. Heureusement, elle est de nature enthousiaste et conciliante et ne m'a jamais opposé de refus. Je serais bien en peine si un jour elle me demandait pourquoi une balade maintenant et sans but apparent.

J'ai failli oublier. Je ne peux faire deux pas ou changer de pièce sans que l’un ou l’autre me suive. Un corps chaud vient toujours se coller à moi quand je m’installe sur le canapé et ma vie est une lutte quotidienne pour la préservation de mon espace vital.

Là où j’ai de la chance c’est que l’une comme l’autre ont été bien dressés et que tous deux n’aboient que très rarement.

Thursday, 20 December 2012

Silence radio.

Bon, bon bon… J'ai un peu oublié de poster hier, l'approche des vacances, la Christmas party du taf, tout ça…
Je pourrais aussi prétendre que c'est pour équilibrer avec la version anglaise, vu que j'étais malade la semaine dernière. Après tout, faut pas faire de jaloux. Promis, je ferais mieux la prochaine fois !

Thursday, 6 December 2012

L’horloge biologique.


Avec la trentaine et le temps qui passe, on est bien obligés de se poser la question. Quelle qu’en soit la réponse, on y aura tous au minimum pensé, c’est inévitable. De nos jours, il y a peu de chance que ça nous tombe dessus par hasard. Il faut donc réfléchir, faire un choix, peser le pour et le contre, repenser son avenir, sa carrière, faire des décomptes. On en fait ou pas ? Et si oui quand ? Dans deux ans, dans cinq? Quand serai-je trop vieille, ai-je encore des choses à accomplir avant, dans quel pays me verrais-je élever un enfant ?
Alors oui, on y pense. On parle avec les mères, les copines, les partenaires, chacun a ses arguments pour ou contre. Parfois, la sagesse provient de la source la plus inattendue. L’autre jour, j’ai lu une citation («quote» dans le jargon) sur danstonchat.com (anciennement bashfr.org).


Et j’y ai pensé. Sérieusement. Jamais je n’avais vu la chose sous cet angle. PliskinHunter a raison : une chaîne d’événements parfois improbables sans doute, de lutte pour la survie de l’espèce a effectivement mené jusqu’à chacun de nous. Une lignée d'ancêtres nous relie aux tout débuts de l’espèce, aux singes à peine humains, à la découverte du feu, à l’invention de l’écriture, à des siècles de barbarie et d’invasions, de maladies, de famines, d’ignorance absolue et malgré tout d’évolution, lente mais inéluctable. Nous sommes tous des Herman passés dans d’innombrables cuisines et quelque part dans notre ADN se trouve même la trace des toutes premières bactéries.
Tout bien considéré, je pense pouvoir me considérer comme un être humain plutôt décent. Je suis éduquée, j’ai des principes, un cerveau, un certain sens de l’éthique. Ne serait-il pas presque un devoir pour l’humanité que se reproduire pour essayer de transmettre ce savoir, voire plus encore si possible ? D’élever un enfant de la manière qui nous semble la plus juste dans l’espoir d’aider une petite part d’humanité à s’élever elle aussi ? On peut parfois penser que l’avenir est trop sombre, en tout point voué à l’échec. Que la société comme la nature sont déjà dans un état de déperdition trop avancé. Que les hommes sont trop bêtes, trop égoïstes, trop vains. C’est en partie la cas.
Seulement si l’avenir est vraiment prédit par le film Idiocratie (médiocre qualité, je n’ai pas trouvé mieux) alors peut-être devons nous faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le rendre moins condamné. Il y a une grande beauté en ce monde, à chacun de nous de la faire perdurer à sa manière.
Et puis ils sont trop mignons avec leur toutes petites mains. Pas tout à fait autant qu’une armée de chatons mais pas loin.