Wednesday, 30 January 2013

Boucher.


Il était boucher. Sa journée commençait toujours la veille au soir, par le passage obligé sur la meule. Usé par une dure journée de labeur, le fil se devait d’être quotidiennement rafraîchit. Ronronnant gravement, le disque de pierre tournait, prêt à recevoir le tranchant ébréché. Brisant soudain la rumeur régulière, un cri aigu retentissait : l’un après l’autre, la meule chantait chacun de ses couteaux. La hauteur et la durée du son décrivait la courbe et la longueur de chaque lame. C’était toujours un son égal pour commencer, puis une accélération dans les aigus, comme une virgule auditive qui soulignait la courbe de la pointe. Parfois une pluie d’étincelles jaillissait. Continuellement répété depuis plus de trente ans, le geste était précis et maîtrisé. Sûrement, ses doigts guidaient la lame, lui exposant l’angle parfait, ajoutant juste ce qu’elle demandait de pression. En fins copeaux de métal, le fil de la journée était effacé. Comme autant d’éphémérides, chaque couteau un à un faisait peau neuve. Huit heures et quelques lames étaient repassées. Une fois qu’il en avait fini, la lumière courrait sur le fil sans trouver une accroche où s’attarder. Certaines lames, bien veilles, avait rétrécies au point de ne plus pouvoir être utilisées ailleurs que dans le jardin. Lui toujours tenait la distance.
Il pouvait lire dans chaque pièce de viande; connaissant précisément l’agencement de chaque muscle, il les séparait avec agilité, tandis que le couteau finement aiguisé se glissait entre les chairs sans les blesser. La surface de chaque pièce qu’il travaillait était lisse et homogène, et lorsqu’il la détaillait en steaks, il eût semblé que les fibres avaient été conçues pour finir en ces tranches régulières. On a tendance à décrire comme un «véritable boucher» l’être violent ou cruel, certainement chaotique, quand le boucher de métier —véritable celui-là— n’est que savoir faire, précision et révérence. Pour la bête, le métier et la viande. Il aime et respecte l’animal et le traite avec le soin qui lui est dû.
Ayant choisi la viande la plus belle, la plus rouge et intense, le boucher se fait enfin cuisinier. Liant la hampe ou la bavette aux échalotes fondantes, drapant le filet de pâte feuilletée, marinant la glorieuse côte de bœuf, par la suite majestueusement rôtie au barbecue. C’est ainsi que le boucher partage l’amour de son métier, mais toujours bien saignant.

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